Pour une poésie de la vérité, laquelle est en l'Être.

 
Le Christ au jardin des Oliviers, 1880, Gustave Moreau

La poésie doit être spirituelle, ou n’est pas. Elle est le projet humain tout entier, en tant qu’elle subsume sous sa forme les intentions de l’homme ; c’est pourquoi elle doit porter véritablement ce projet, en parachevant son objet. Ce que l’on sait de poésie, aujourd’hui, ce ne sont rien que des scories, des tentatives maladroites, d’où nous constatons que la poésie pure est rare.
 
Je connais certain poète, qui essaie son œuvre, qui l’habille de volonté, mais qui, parce qu’il en est « encore à la tentation d'Antoine1 », ne contribue pas à la direction de l’humanité dans sa vision principielle, qui est divine. Car, oui, la poésie doit être la Création continuée, le Verbe dans son infinitude – ce que nous enseigne le Christ dans son existence, qui est Parole et Acte. L’acte poétique devrait, en principe, s’associer à l’existence de l’homme, qui n’est rien d’autre que sa Parole, en vérité. Enlevez à cet homme sa Parole, comment peut-il continuer d’exister ? Comment pourra-t-il communiquer dans le monde, à travers une voix qui n’est désormais plus, et l’envie disparaissant ? - Non, certes, nous pouvons communiquer autrement ! mais il n’en reste pas moins que le langage primordial est la langue adamique, c’est-à-dire l’adéquation parfaite entre l’objet et l’appropriation de la Parole par le sujet. Cette langue, la poésie la restitue, et la resitue, dans son caractère sacré, d’inspiration théologique, et seule elle parvient à achever de le faire. La poésie, par l’entremise de la sensation, connaît la chair de l’homme, son corps propre, dans sa profondeur sensible et spirituelle, et c’est pourquoi tout le monde en fait l’expérience.

Je dirai toujours que l’on peut être poète sans avoir jamais écrit quelque ligne ; la poésie est une attitude de l’être, une épochè, qui attire l’attention sur « les choses mêmes2 », et rejette tout ce qui est en dehors de l’être, fondant l’homme dans sa propre concentration ontologique. Faire l’acte poétique, l’achever jusqu’au bout, c’est ajouter à sa connaissance de soi, en tant que se connaître, c’est connaître sa vérité, c’est-à-dire connaître aussi les choses dans le monde qui sont véritables et non hallucinatoires. Dieu, dans la kénose, s’est dépouillé de certains de ses attributs propres, et s’est montré à l’homme : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. 3», et sa Parole sacrée, rectrice, parénétique, protreptique, nous devons la suivre, en la continuant – ce que la poésie seule permet. La poésie donne de l’être par sa Parole, par sa vérité : « Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets.4 » Des oracles chaldaïques aux chants liturgiques, une même vérité est perçue, qui n’est autre que Dieu dans sa pureté d’être.

La poésie est le contraire même des babils, de la phrase, entendue en tant qu’unité sémantique, arrangement syntaxique, mais de la phrase qui est bavardage, éloquence rhétoricienne5, puisque la poésie ne cherche pas à convaincre, ni à se convaincre soi-même – elle cherche l’Être. La futurition de la poésie se nourrit de l’être qui conjugue sa parole à la Parole divine, sacrée ; par conséquent, l’acte de l’homme, entendu en tant qu’acte poétique en devenir, non seulement d’exister, mais de faire exister sa vérité par son cri exposé au monde, se superpose à l’acte pur de Dieu, dans sa nudité primordiale, dans son dépouillement de qualités superfétatoires, et dans sa superbe transcendance.


« L’Homme veut tout sonder, – et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S’élance de son front ! Elle saura Pourquoi !…
Qu’elle bondisse libre, et l’Homme aura la Foi !6 »

 

1 Illuminations, A. Rimbaud, « Jeunesse », IV.

2 En langue originale : « An die Sache selbst » ; Recherches logiques, E. Husserl, 1900-1901.

3 Évangile selon saint Jean, 1:18.

4 Divagations, S. Mallarmé, 1897.

5 Voir l’exégèse de Pierre Brunel du poème de A. Rimbaud, « Phrases », Illuminations, dans Éclats de la violence - pour une lecture comparatiste des « Illuminations » d'Arthur Rimbaud, José Corti, 2004.

6 A. Rimbaud, « Credo in unam... », 1870.

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