Je dirai toujours que l’on peut être poète sans avoir jamais écrit quelque ligne ; la poésie est une attitude de l’être, une épochè, qui attire l’attention sur « les choses mêmes2 », et rejette tout ce qui est en dehors de l’être, fondant l’homme dans sa propre concentration ontologique. Faire l’acte poétique, l’achever jusqu’au bout, c’est ajouter à sa connaissance de soi, en tant que se connaître, c’est connaître sa vérité, c’est-à-dire connaître aussi les choses dans le monde qui sont véritables et non hallucinatoires. Dieu, dans la kénose, s’est dépouillé de certains de ses attributs propres, et s’est montré à l’homme : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. 3», et sa Parole sacrée, rectrice, parénétique, protreptique, nous devons la suivre, en la continuant – ce que la poésie seule permet. La poésie donne de l’être par sa Parole, par sa vérité : « Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets.4 » Des oracles chaldaïques aux chants liturgiques, une même vérité est perçue, qui n’est autre que Dieu dans sa pureté d’être.
La poésie est le contraire même des babils, de la phrase, entendue en tant qu’unité sémantique, arrangement syntaxique, mais de la phrase qui est bavardage, éloquence rhétoricienne5, puisque la poésie ne cherche pas à convaincre, ni à se convaincre soi-même – elle cherche l’Être. La futurition de la poésie se nourrit de l’être qui conjugue sa parole à la Parole divine, sacrée ; par conséquent, l’acte de l’homme, entendu en tant qu’acte poétique en devenir, non seulement d’exister, mais de faire exister sa vérité par son cri exposé au monde, se superpose à l’acte pur de Dieu, dans sa nudité primordiale, dans son dépouillement de qualités superfétatoires, et dans sa superbe transcendance.
« L’Homme
veut tout sonder, – et savoir ! La Pensée,
La cavale
longtemps, si longtemps oppressée
S’élance de son front !
Elle saura Pourquoi !…
Qu’elle bondisse libre, et
l’Homme aura la Foi !6 »
1 Illuminations, A. Rimbaud, « Jeunesse », IV.
2 En langue originale : « An die Sache selbst » ; Recherches logiques, E. Husserl, 1900-1901.
3 Évangile selon saint Jean, 1:18.
4 Divagations, S. Mallarmé, 1897.
5 Voir l’exégèse de Pierre Brunel du poème de A. Rimbaud, « Phrases », Illuminations, dans Éclats de la violence - pour une lecture comparatiste des « Illuminations » d'Arthur Rimbaud, José Corti, 2004.
6 A. Rimbaud, « Credo in unam... », 1870.
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