R.I.P, le « RIP » ?
Avec
la décision du 14 avril 2023 (décision n°2023 RIP-4 du 14 avril
2023), le Conseil constitutionnel rigidifie encore plus une procédure
déjà très complexe et mal ficelée, et ce, dès son origine. En
effet, l’article 11 modifié par la révision du 23 juillet 2008
qui l’institue, comme la loi organique n°2013-1114 du 6 décembre
2013 la mettant en œuvre (et modifiant l’ordonnance du 7 novembre
1958), en rende son application quasi impossible (voir publication
précédente). A cela, s’ajoute la jurisprudence du Conseil
constitutionnel qui la rend d’autant plus difficile à mettre en
œuvre.
Il est à noter que la jurisprudence du Conseil constitutionnel constitue une source juridique essentielle du référendum d’initiative partagée (ci-après RIP). On ne peut comprendre le RIP sans se référer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. C’est donc aussi ici, que le juge constitutionnel, pensé comme un organe inscrit dans un processus concurrentiel de production normatif, prend une place importante. La place est d’autant plus importante que, le Conseil constitutionnel constitue un filtre, puissant ici, pour la mise en œuvre de la procédure. L’analyse minutieuse de la jurisprudence « RIP » du Conseil constitutionnel s’avère donc être une ressource fondamentale.
Au préalable, il convient de rappeler le périlleux cheminement de la procédure « RIP ». La procédure se fait en plusieurs étapes : 1e) En premier lieu, il est nécessaire de réunir 1/5 des parlementaires pour déposer une proposition de loi RIP. 2e) Le Président de l’Assemblée nationale saisit le Conseil constitutionnel afin que ce dernier statue, par une décision, sur l’initiative du RIP. Le Conseil a un mois pour statuer sur l’initiative du RIP 3e) Par cette première décision, le Conseil constitutionnel va vérifier que l’objet du RIP tombe bien dans le cadre de l’article 11 de la Constitution: l’organisation des pouvoirs publics, réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, autorisation de la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. 4e) Suite à cette première décision, le Conseil constitutionnel ouvre, dans le mois qui suit sa décision, le recueil des soutiens (art 4 LO). 5e) La durée de recueil des soutiens est de neuf mois (art 4 LO). 6e) A l’issue des neuf mois, le Conseil constitutionnel rend une deuxième décision pour attester du nombre requis de soutiens populaires (1/10e du corps électoral). 7e) Si, dans les six mois qui suivent cette décision, la proposition de loi n’a pas été examinée au moins une fois par chacune des deux assemblées parlementaires, le Président de la République la soumet au référendum (art.9 LO). 8e) Si rejet de la proposition de loi en première lecture par la première assemblée saisie, son président en avise le président de l’autre assemblée et lui transmet le texte initial de la proposition de loi (art.9 LO).
Le Conseil constitutionnel vérifie trois conditions (décision n° 2013-681 DC du 5 décembre 2013) lors de ce contrôle préventif :
« 1 ° Que la proposition de loi est présentée par au moins un cinquième des membres du Parlement, ce cinquième étant calculé sur le nombre des sièges effectivement pourvus à la date d'enregistrement de la saisine par le Conseil constitutionnel, arrondi au chiffre immédiatement supérieur en cas de fraction ;
« 2 ° Que son objet respecte les conditions posées aux troisième et sixième alinéas de l'article 11 de la Constitution, les délais qui y sont mentionnés étant calculés à la date d’enregistrement de la saisine par le Conseil constitutionnel ;
« 3 ° Et qu’aucune disposition de la proposition de loi n'est contraire à la Constitution ». (article 45-2 ordonnance du 7 novembre 1958). »
La décision « RIP-11 », validant la proposition de RIP sur l’aéroport de Paris, avait constitué un espoir chez nombre de constitutionnaliste. En effet, bien que difficile à mettre en œuvre, le Conseil constitutionnel semblait apprécier assez largement les conditions, de fond comme de forme, exigées. Le Conseil précise en effet que, l’objet du RIP ne vise pas une loi promulguée depuis un an (cons.7), donc, une loi adoptée n’est pas considérée comme promulguée (décision n°2019-1 RIP du 9 mai 2019), permettant ainsi de « suspendre », le temps du RIP, le projet de loi du Gouvernement (ou plutôt les effets de la promulgation). Deuxièmement, le Conseil précisait, qu’à la date d’enregistrement de la proposition, « aucune proposition de loi portant sur le même sujet n’avait été soumise au référendum depuis deux ans » (cons.7).
Cette décision était assez particulière. Outre que c’était la première décision portant sur le RIP, elle intervenait surtout en même temps que celle portant sur la conformité à la Constitution, de la loi PACTE. On avait donc une situation non prévue par la loi organique où potentiellement, un RIP intervenait sur le même objet qu’un projet de loi déféré devant le Conseil constitutionnel. Face à cette situation, le Conseil constitutionnel avait un choix. Il pouvait en premier lieu, suivre la position de Marc Guillaume, alors secrétaire général du Gouvernement (et ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel), selon laquelle, il était nécessaire, pour le Conseil, de déclarer qu’il n’y avait pas lieu à statuer car, un projet de loi portant sur le même objet avait été fraîchement adopté par le Parlement (en l’espèce, la loi PACTE). En second lieu, le Conseil pouvait s’en tenir à une stricte lecture littérale de l’article 11 et de la loi organique précitée pour valider l’initiative du RIP. C’est la seconde option qui fut choisie en 2019. La Constitution n’évoquant que le cas des lois promulguées, et non des textes en cours de discussion ou adoptés, le Conseil constitutionnel ne prend en compte que cet élément pour déterminer si la proposition de loi d’initiative partagée est recevable. La conséquence de cette décision est alors importante. Le Conseil dispose, dans l’article 3 du dispositif de la décision que, « jusqu’à l’intervention de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel constatera si la proposition de loi a recueilli le soutien d’au moins 4 717 396 électeurs inscrits sur les listes électorales, l’examen de la proposition de loi par le Parlement est suspendu. » Le « RIP » joue, par cette décision, le rôle d’un « veto suspensif » pour l’opposition. Il devient un nouveau droit conféré à l’opposition parlementaire. Se mettant en conformité avec sa jurisprudence antérieure (décision n° 2013-681 DC du 5 décembre 2013), le Conseil constitutionnel se place donc en défenseur de la prérogative de la minorité parlementaire mais également du droit des citoyens à pouvoir soutenir une proposition d’initiative minoritaire. « Cette position bienveillante à l’égard des droits politiques des citoyens, assumée par le Conseil constitutionnel, s’inscrit logiquement dans sa mission de veiller au bon déroulement des opérations référendaires (article 60) qui le conduit notamment à vérifier la clarté et la loyauté du référendum » (Marthe Fatin-Rouge Stéfanini). Cependant, si cette décision est un « succès » pour le RIP (bien qu’il ne soit pas allé au bout), les suivantes seront plus contrastées et seront plus strictes sur les conditions à remplir.
La décision « RIP-2 2» marque un premier revers pour le RIP. En effet, dès le contrôle préventif, le Conseil constitutionnel estime que la proposition de RIP qui lui est soumise est contraire à la Constitution. S’appuyant sur sa décision du 5 décembre 2013 précitée qui mentionne, au considérant 13 que, « qu’il lui appartient, enfin, de vérifier qu’aucune disposition de la proposition de loi n’est contraire à la Constitution », le Conseil constitutionnel rejette donc cette nouvelle proposition de RIP. Cette dernière avait pour objet de garantir un accès universel à un service public hospitalier de qualité. Elle prévoyait, dans son article 1er que, « la politique de l’État en faveur de l’hôpital public met en œuvre l’égalité d’accès de la population aux soins en assurant la réalisation effective du principe selon lequel la République garantit à toutes et tous, et sur tout le territoire, un accès universel à un service public hospitalier de qualité, lequel constitue un bien commun des Français ». Dans sa décision RIP-2 du 6 août 2021, le Conseil a bien vérifié le respect des deux premières conditions, notamment que l’objet de cette proposition relevait du deuxième des objets énumérés au premier alinéa de l’article 11, à savoir une proposition portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent. En outre, le texte n’avait pas pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an et qu’aucune proposition de loi portant sur le même sujet n’avait été soumise au référendum depuis deux ans, ce qui correspond aux exigences posées par l’alinéa 6 de l’article 11. Mais, l’article 7 de la proposition de loi va poser problème. En effet, l’article 7 modifiant les articles L. 1411-3 du Code de la santé publique et L. 162-22-6 du Code de la sécurité sociale, prévoyait que, d’une part, que la Conférence nationale de santé « détermine les activités, actes et soins justifiables de la mise en œuvre d’une tarification à l’activité par les établissements de santé » et, d’autre part, que le décret en Conseil d’État, qui fixe notamment les catégories de prestations donnant lieu à facturation pour les activités de médecine, de chirurgie, de gynécologie-obstétrique et d’odontologie, est pris « après avis conforme de la Conférence nationale de santé émis sur la base des dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 1411-3 du Code de la santé publique » (cons.9). Le Conseil constitutionnel estime que cet article viole l’article 21 de la Constitution en ce que, la compétence du législateur empiète sur celle du pouvoir réglementaire. En effet, la proposition revenait à encadrer de manière inconstitutionnelle l’exercice du pouvoir réglementaire du Premier ministre. C’était donc, assez logiquement, que le Conseil constitutionnel censura la proposition de RIP. Une nouvelle condition, certes évidente, venait d’être rappelée : une proposition de RIP ne peut intervenir dans le champ du pouvoir réglementaire.
La troisième décision RIP3 marque un point de bascule dans la manière qu’à le Conseil constitutionnel, d’appréhender la procédure RIP et l’exercice de son contrôle préventif. Le Conseil constitutionnel devait contrôler la « proposition de loi présentée en application de l'article 11 de la Constitution n°270 portant création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises ». Cette proposition de loi prévoyait notamment que, a création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises. La proposition mentionnait que : « sont assujetties les sociétés redevables de l’impôt sur les sociétés dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros et dont le résultat imposable de l’exercice considéré est supérieur ou égal à 1,25 fois le résultat imposable moyen des exercices 2017, 2018 et 2019 ». Elle précisait ensuite que, « seul le bénéfice exceptionnel, c’est‑à‑dire le profit supplémentaire réalisé par rapport à 1,25 fois la moyenne triennale retenue, est ainsi imposé ». Enfin, elle rappelait que, « le dispositif retient un mécanisme progressif, sans effets de seuil, avec trois taux marginaux applicables selon la fraction de progression du résultat imposable. Un premier taux à 20 % pour la fraction des superprofits correspondant à une hausse par rapport à la moyenne comprise entre 1,25 et 1,5 fois la moyenne triennale retenue, un taux de 25 % entre 1,5 et 1,75 fois cette moyenne et un taux de 33 % au‑delà de 1,75 fois la moyenne triennale retenue ».
Le Conseil constitutionnel a donc, face à cette proposition, effectuait son contrôle classique pour la vérification des trois conditions cumulatives citées plus haut: « 1 ° Que la proposition de loi est présentée par au moins un cinquième des membres du Parlement, ce cinquième étant calculé sur le nombre des sièges effectivement pourvus à la date d’enregistrement de la saisine par le Conseil constitutionnel, arrondi au chiffre immédiatement supérieur en cas de fraction ;
2 ° Que son objet respecte les conditions posées aux troisième et sixième alinéas de l'article 11 de la Constitution, les délais qui y sont mentionnés étant calculés à la date d’enregistrement de la saisine par le Conseil constitutionnel ;
3 ° Et qu’aucune disposition de la proposition de loi n'est contraire à la Constitution ». (article 45-2 ordonnance du 7 novembre 1958). »
Le Conseil constate que la première condition est bien remplie (cons. 4) mais, dès la seconde condition, il va, pour la première fois, rejeter la proposition de RIP (cons. 5). Le Conseil constitutionnel estime en effet que, la proposition « a ainsi pour seul effet d’abonder le budget de l’État par l’instauration jusqu’au 31 décembre 2025 d’une mesure qui se borne à augmenter le niveau de l’imposition existante des bénéfices de certaines sociétés. Elle ne porte donc pas, au sens de l’article 11 de la Constitution, sur une réforme relative à la politique économique de la nation » (cons.5). Le problème avec le Conseil constitutionnel est toujours le même : celui de la motivation de la décision. À cette simple lecture, on ne comprend pas pourquoi, le fait d’augmenter le niveau de l’imposition existante des bénéfices de certaines sociétés ayant fait des « superprofits », ne constituerait pas une réforme au sens de l’article 11 de la Constitution, qui plus une est, une réforme relative à la politique économique.
Le Conseil constitutionnel, par cette motivation lacunaire, ne précise pas ce à quoi renvoi le caractère de réforme, tel qu’inscrit dans l’article 11. De même, on ne sait ici, si, le Conseil fait usage de jurisprudences antérieures pour appuyer cette solution. Le juge se contente d’inscrire son discours dans une pure dimension décisoire. Il exclut toute dimension justificative4 (X. Magnon). L’on ne sait jamais pourquoi le Conseil constitutionnel a retenu telle ou telle interprétation, telle ou telle solution, ni sur quoi il appuie ses choix. L’on ne sait pas plus quels sont les différents possibles dans l’interprétation des normes en présence comme dans la solution à apporter au litige né de leur confrontation, y compris ceux qui n’ont pas été retenus par le juge, et les choix de société comme les solutions envisageables, auxquels est confronté le juge (X. Magnon). une décision du Conseil constitutionnel « n’est pas dialogique », « le raisonnement du Conseil constitutionnel est « monologique ». Au regard de ce vide argumentatif, il convient alors de se référer au commentaire (autorisé) de la décision du Conseil constitutionnel qui sert, au fond, de justification a posteriori de la décision produite. On y trouve alors le fait que le Conseil aurait utilisé comme ressources interprétatives, outre les travaux préparatoires (de 1995 et de 2008 sur la révision constitutionnelle), un avis du 20 juin 2019 du Conseil d’État affirmant que la législation fiscale ne relève pas du champ d’application de l’article 11. Même là, on ne trouve rien de véritablement convainquant pour appuyer la décision.
Que l’on soit pour ou opposé à cette proposition, on ne peut que déplorer l’absence de motivation justifiant cette solution. Qui plus est, par cette solution, le Conseil constitutionnel ferme un peu plus l’accès au RIP. Les parlementaires devront donc voir « grand » pour pouvoir proposer une réforme à caractère économique, compliquant la possibilité d’avoir 1/5e des parlementaires pour la soutenir. En effet, pour être acceptée, une proposition portant sur la fiscalité doit véritablement « pouvoir modifier la structure de la fiscalité ». En estimant que la proposition en question n’avait que pour seul objectif, « d’abonder les caisses de l’État », ce qui en soi, est assez contestable, le Conseil constitutionnel fait œuvre de conservatisme à l’égard d’une procédure déjà compliquée à mettre en œuvre. Cette deuxième décision de rejet de RIP (sur trois propositions) marquait une volonté (délibérée ou non) de resserrer l’accès au RIP.
Enfin, par la décision « RIP-4 »5, le Conseil constitutionnel resserre encore plus l’accès au RIP, condamnant cette procédure à n’être qu’un mirage de la démocratie participative. En effet, le Conseil constitutionnel, par cette décision, va ajouter une nouvelle limite à la procédure du RIP : la nécessité que la proposition de loi soit une réforme au sens de l’article 11, autrement dit, qu’elle modifie l’état du droit. Ainsi, le Conseil constitutionnel a estimé que la proposition de loi, qui fixait le seuil de 62 ans pour le départ à la retraite, « n’emporte pas de changement de l’état du droit » (cons.8 et 9).
Pourtant, la décision du Conseil constitutionnel souffre de certains défauts. Sur la forme, il faut d’abord noter que, fait assez rare, pour justifier sa décision, le Conseil constitutionnel cite, dans les visas de sa décision, les deux décisions RIP précédemment évoquées. Les décisions du Conseil constitutionnel seraient donc des précédents, selon le commentaire officiel de la décision, ce qui, d’un point de vue de la tradition juridique, n’est pas sans ambiguïté. Mais il s’agit d’une stratégie classique des juridictions, qui construisent ainsi un « roman du droit » ou un « train jurisprudentiel », marquant une continuité dans la jurisprudence, servant ainsi à s’auto-légitimer. Sur le fond maintenant, le Conseil constitutionnel poursuit, par cette décision, l’élaboration de la notion de « réforme » par une casuistique soustractive. Après avoir considéré qu’une simple taxe « abondant les caisses de l’état » n’était pas une « réforme », le Conseil constitutionnel estime que la fixation d’un âge-seuil de départ à la retraite, n’est pas non plus une réforme. Pourtant, cette interprétation est assez contestable. En effet, l’état du droit actuel ne prévoit pas de seuil en matière d’âge de départ à la retraite. Or, la proposition de loi visait expressément à en mettre une. On ne pouvait donc, selon cette proposition, aller au-delà de 62 ans. Elle prévoyait en effet que, « L’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite […] ne peut être fixé au‑delà de soixante‑deux ans6 ». En ce sens que, elle ajoutait un élément nouveau dans le droit positif. On peine alors à comprendre ce qu’est une « réforme » dans la signification du Conseil constitutionnel. Le commentaire officiel mentionne que, la proposition ne modifie pas le droit existant car, en droit positif, l’article L. 161-17-2 du Code de la santé publique dispose que, l’âge de départ à la retraite « est fixé à soixante-deux ans ». Or, la proposition rajoutait une négation : « ne peut être fixé au-delà de [...] », ce qui limitait nécessairement l’action future du législateur.
De même, le Conseil constitutionnel semble un peu se perdre dans son contrôle. En effet, si on fait l’analogie avec la décision « RIP-1 » évoquée, le Conseil constitutionnel se trouvait dans la même configuration que pour la décision « RIP-4 ». En effet, dans les deux cas, une contre-réforme était proposée contre une réforme gouvernementale. Il s’agissait dans le premier cas, d’affirmer que l’aéroport était un service public contre la privatisation souhaitée du Gouvernement et dans l’autre cas, d’affirmer que l’âge de départ à la retraite ne pouvait être fixé au-delà de 62 ans contre la volonté de repousser l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Pourtant, si dans le premier cas, le Conseil constitutionnel considère que l’on a affaire à une réforme, dans le deuxième cas, il dénie ce caractère de réforme à la proposition de loi. Or, ADP était déjà, matériellement un service public et la proposition de loi, ne faisait que graver dans le droit positif ce caractère. Au fond, c’est la même chose pour la proposition de RIP pour les retraites. Là aussi, la motivation lacunaire du Conseil constitutionnel empêche toute distinction claire sur la notion de « réforme ». Qui plus est, les parlementaires à l’initiative du RIP était de bonne foi car ils s’étaient reposé sur la décision RIP-1 pour pouvoir contester la réforme du Gouvernement. Mais maintenant, dès lors que la loi que l'on veut contester n'est pas promulguée, une proposition visant à remettre en cause les dispositions qu'elle contient sera plus facilement interprétée comme une tentative de maintien du droit positif, ce qui fait sortir la proposition du champ de l'article 11, donc, la rendra non-conforme à la Constitution. L’effet « suspensif » attaché au RIP semble s’être lui aussi éteint en raison de la difficulté pour réunir les conditions du RIP.
Par cette interprétation assez stricte du terme « réforme », le Conseil constitutionnel ferme un peu plus l’accès au référendum d’initiative partagée.
Et maintenant ?
Avant même la décision du 14 avril 2023, des parlementaires ont déposé, devant le Sénat une nouvelle proposition de RIP7. Dans son article 1er, la proposition de loi reprend l’article unique de la précédente proposition selon laquelle, « L’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite […] ne peut être fixé au‑delà de soixante‑deux ans8 ». Dans son article 2, la proposition de loi met en place en prélèvement pour le financer. Au regard de ce qui a été dit dans ce commentaire, on peut légitiment douter de la recevabilité de cette proposition RIP. Sur le caractère de la réforme tout d’abord, en reprenant comme tel ce qui a été précédemment proposé (art. 1er) , les parlementaires ne modifie par le droit positif (au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel), car réitère l’âge de 62 ans. Qui plus est, le Conseil constitutionnel, prend en compte l’état du droit au jour où il a été saisi. Or, le 13 avril, l’âge de départ à la retraite était encore de 62 ans. Donc, l’article 1er ne propose pas de réforme au sens de la jurisprudence du Conseil (décision n°2023-4 RIP du 14 avril 2023). Pour l’article 2, en prévoyant un prélèvement pour le financement de l’âge de départ à 62 ans, le risque est grand pour tomber dans la jurisprudence RIP-3 précitée. En effet, si la proposition modifie le Code de la sécurité sociale, on peut aussi estimer qu’elle ne modifie que le financement des retraites et qu’à ce titre, ne constitue pas une réforme au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n°2022-3 RIP du 25 octobre 2022). Qui plus est, l’article 2 est inséparable de l’article 1 or, si l’article 1 ne revêt pas le caractère d’une réforme, l’article 2 en subira aussi la même qualification. Tout sera, encore une fois, affaire d’interprétation mais, le Conseil constitutionnel a construit de « solides » arguments pour pouvoir rejeter des propositions RIP au titre qu’elles ne constituent pas des réformes.
On peut évidemment se poser la question de la compétence juridique des parlementaires qui, pour deux propositions RIP consécutives, répètent les mêmes erreurs. On peut se demander pourquoi ils n’ont pas proposé autre chose du style : « l’âge de départ à la retraite est fixé à 61 ans et 6 mois » ou « 62 ans et 6 mois », cela aurait permis d’apporter une vraie réforme car modifiant substantiellement le droit positif et le Conseil constitutionnel n’aurait pu que valider la proposition. Enfin, s’il est facile de jeter l’opprobre sur le Conseil constitutionnel (qui ne fait qu’appliquer la loi organique précitée), c’est surtout le mécanisme du référendum d’initiative partagée qu’il conviendrait de réformer pour faciliter la participation des citoyens à la confection de la loi.
Point d'actualisation:
En ce 3 mai 2023, le Conseil constitutionnel vient de rendre sa dernière décision sur le RIP (décision n°2023-5 RIP). Comme cela avait pu être annoncé plus haut, le Conseil constitutionnel a censuré la nouvelle proposition sur les deux arguments invoqués. En premier lieu, le Conseil constitutionnel constate qu'à "à la date à laquelle le Conseil constitutionnel a été saisi de cette proposition de loi, l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale dispose déjà que l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite mentionné à ces mêmes dispositions est fixé à soixante-deux ans." . En ce sens que, la proposition de loi ne change rien à l'état du droit donc, ne constitue pas une réforme. En second lieu, la proposition de loi prévoyait "d’augmenter de 9,2 % à 19,2 % le taux d’imposition à la contribution sociale généralisée des revenus du patrimoine mentionnés au e du paragraphe I de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale". Or, comme cela avait été écrit, au regard de sa décision RIP-3, le Conseil censurera les dispositions qui ne visent simplement qu'à "abonder le budget de l'État". En l'espèce, le Conseil constitutionnel constate que la disposition ne vise qu'à "abonder une branche de la sécurité sociale" et que, par voie de conséquence, la proposition de loi ne constitue pas une réforme au sens de l'article 11 de la Constitution.
Encore un revers de plus pour le RIP qui perd de plus en plus de sa vitalité et de son intérêt.
1décision n°2019-1 RIP du 9 mai 2019
2décision n°2021-2 RIP du 6 août 2021
3décision n°2022-3 RIP du 25 octobre 2022
4MAGNON Xavier, « Plaidoyer pour que le Conseil constitutionnel devienne une véritable Cour constitutionnelle » in, RFDC 2014/4 (n°100)
5décision n°2023-4 RIP du 14 avril 2023
6Proposition de loi présentée en application de l'article 11 de la Constitution n°959 visant à affirmer que l'âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans
7Proposition de loi n°530 visant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans,
8Proposition de loi présentée en application de l'article 11 de la Constitution n°959 visant à affirmer que l'âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans
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