Réforme de la justice et Lois fondamentales : le difficile contrôle des lois constitutionnelles par la Cour Suprême d’Israël

Cour suprême d'Israël — Wikipédia


Présenté depuis début janvier par le ministre de la Justice, Yariv Levin de la très conservatrice coalition menée par Benjamin Netanyahou, la réforme de la justice fait grincer des dents les libéraux et défenseurs des droits fondamentaux. La réforme propose notamment à politiser la sélection des juges grâce à une modification de la composition et des pouvoirs de la Commission chargée des nominations judiciaires. La réforme prévoit notamment de passer la composition de la Commission de 9 à 11 membres en déplaçant l’équilibre en faveur des membres politiques, au détriment des professionnels du droit, avec 3 ministres, dont le ministre de la Justice ; 3 parlementaires ; 3 membres de la Cour suprême dont son président et 2 représentants des citoyens dont l’un devra être un juriste et qui seront désignés par le ministre de la Justice. Les pouvoirs de la commission seraient également modifiés puisque désormais une majorité de 6 sur 11 sera suffisante pour nommer un magistrat. De même, le contrôle de constitutionnalité se verrait fortement limité. Elle interdit en effet tout contrôle de constitutionnalité des lois fondamentales, conditionne les censures des lois ordinaires à l’obtention d’une majorité de 80 % des juges de la Cour suprême et prévoit également en place un mécanisme « nonobstant », permettant à la Knesset d’adopter, à la majorité simple, une clause immunisant un texte législatif contre son contrôle juridictionnel pendant une durée de quatre ans, renouvelable indéfiniment.


Ce texte à évidemment susciter de nombreuses critiques et de nombreuses manifestations se sont organisées partout dans le pays, obligeant le Gouvernement à une « pause » dans la réforme afin de trouver de nouveau compromis. La réforme n’est pas anodine car elle vise un pilier essentiel de la démocratie israélienne : la Cour suprême. Or, dans un pays sans Constitution formelle1, la Cour suprême a su, par un activisme que l’on ne peut nier, palier les carences du pouvoir constituant. Ainsi, la place de la Cour suprême est tout simplement colossale dans l’organisation institutionnelle israélienne. L’existence d’un système de justice indépendant dont fait partie la Cour suprême est inhérent à l’essence de l’État d’Israël (A. Barak). Dans un pays sans Constitution formelle mais dotée d’une Constitution matérielle2, notamment par diverses Lois fondamentales (basics laws) relatives aux différents éléments constitutifs d’un État, la question même du contrôle de constitutionnalité fut résolu par la Cour suprême elle-même, auto-limitant son office et établissant les différentes modalités de son contrôle. La Cour suprême est même allée jusqu’à formaliser une Constitution non-formelle3. L’interrogation suprême se pose dans la question du contrôle des Lois fondamentales elles-mêmes, véritable Constitution d’Israël. S’il est légitime de contrôler une norme inférieure par rapport à une norme supérieure pour en déterminer sa validité (rapport lois-Constitution), la question de la légitimité du contrôle de la norme suprême, bien qu’inférieur (ici, la Constitution) à un autre norme (qu’il faut déterminer) pose problème. C’est en effet toute l’interrogation de la supraconstitutionnalité. Si en France la question ne fait pratiquement plus débat, dans d’autres pays où la réflexion sur l’interprétation juridique est plus poussée et où le rôle du juge est plus prégnant, la question demeure. Si certaines juridictions constitutionnelles n’ont pas hésité à « sauter le pas » (Italie, Inde, Ukraine et Moldavie), la question mérite d’être soulevée à l’égard de la Cour suprême d’Israël.


Nous verrons dans un premier temps l’histoire de la Constitution israélienne et son indissociable lien avec la Cour Suprême (I) puis dans un second temps, nous poserons la question du contrôle de constitutionnalité des lois de révisions constitutionnelles en Israël (II).


I) L’activisme de la Cour suprême comme inhérent au développement de la Constitution d’Israël


On ne peut comprendre la Constitution d’Israël sans l’associer à l’activisme de la Cour suprême. En effet, face aux lacunes du texte constitutionnel, la Cour suprême à user de son pouvoir d’interprétation pour poser le cadre constitutionnel d’Israël, tant au niveau de sa formalisation (A) que des garanties entourant les droits fondamentaux (B)


A) Une formalisation prétorienne de la Constitution d’Israël opérée par la Cour suprême


L’État d’Israël ne dispose pas de Constitution formelle. En effet, de par sa construction conflictuelle, l’État d’Israël n’a jamais, depuis sa Déclaration d’indépendance du 14 mai 1948, réussi à se doter d’une véritable Constitution écrite. Cette dernière aurait pu constituer la Constitution d’Israël, mais ce ne fut pas le cas.


Si en 1948, les diverses forces politiques en présence voulurent l’adoption d’une Constitution écrite, les conflits avec les peuples arabes qu’ils soient externes ou internes mirent fin à cette possibilité. En effet, pour les Arabes, adopter une Constitution écrite pour l’État d’Israël c’était figer dans le texte l’identité juive de l’État d’Israël. Mais, c’est aussi dans la structure des forces politiques israéliennes que l’échec d’établir une Constitution écrite se trouve. Les religieux orthodoxes tout d’abord, firent tout pour qu’il n’y ait pas de Constitution écrite. Pourquoi avoir une Constitution quand la Loi religieuse juive est la véritable Constitution du peuple juif ? Les forces politiques ensuite, qui, comme David Ben Gourion, s’appuyèrent sur le principe de souveraineté du Parlement dans une conception anglo-saxonne du parlementarisme pour justifier l’inexistence de Constitution écrite.


Face à ce constat d’échec, la résolution Harari fut prise le 13 juin 1950. Celle-ci reconnaît l’impossibilité, pour le moment d’établir une Constitution écrite unique et propose la construction progressive de la Constitution d’Israël par des textes épars, les Lois fondamentales. Ainsi, la Knesset aurait pour tâche d’élaborer successivement les différentes Lois fondamentales d’Israël qui, réunies, formeraient la Constitution d’Israël. Les Lois fondamentales sont des « compromis de façade dilatoire » (Carl Schmitt) en ce sens que, les forces politiques en présence se mettent d’accord sur la forme (établir des textes successifs) mais non sur le fond (le contenu même de ses textes). C’est donc par des Knesset que les différentes Lois fondamentales seront élaborées. Depuis la résolution Harari, 14 Lois fondamentales4 furent adoptées, réglant chaque élément constitutif de l’État d’Israël. Cependant, elles sont elles aussi des compromis au regard des différentes forces politiques ce qui fait que pour certaines, elles sont marquées par une indétermination dans leurs contenus.


De nombreuses interrogations ont été laissées en suspend et c’est la Cour suprême qui a notamment du y répondre afin d’établir une véritable Constitution, jouant ainsi le rôle de Constitution-maker par la décision United Mizrahi Bank de 1995. Si l’atteinte à la souveraineté du Parlement, selon laquelle le Parlement pouvait adopter librement les lois ordinaires, fut initiée par l’arrêt Bergman de 1969, c’est la décision de 1995 qui marqua un véritable coup sur la Knesset. La décision de 1995 est souvent considérée comme le Marbury v. Madison israélien tant il marque la présence de la Cour suprême dans la vie institutionnelle israélienne. Par cette décision, la Cour suprême va estimer que la Knesset dispose du pouvoir constituant (donc d’établir une Constitution) et que toutes les Lois fondamentales issues de la résolution Hararireprésentait la Constitution d’Israël. C’est donc par la Cour suprême que l’État d’Israël s’est doté d’une véritable Constitution formelle.


La Cour suprême continuera son œuvre créatrice en énonçant une déclaration prétorienne des droits fondamentaux.


B) Une déclaration prétorienne des droits fondamentaux posée par la Cour suprême


L’activisme de la Cour suprême dans les droits fondamentaux s’illustre selon une double temporalité : avant et après 1992.


Avant 1992, les Lois fondamentales ne contenaient aucune disposition relative aux droits fondamentaux. C’est donc la Cour suprême qui combla ce vide normatif au regard du respect traditionnel de la Rule of law. La Cour suprême, dans le but de protéger les droits et libertés des individus, va élaborer une Charte jurisprudentielle des droits fondamentaux (Judicial Bill of Rights) de manière casuistique. Par une interprétation favorable des libertés face à l’empiétement du législateur (qui devait affirmer clairement qu’il voulait revenir sur une liberté et non simplement le présumer), la Cour suprême commença, avec l’arrêt Kol Ha’am de 1953, à protéger la liberté d’expression5, la liberté de religion et de conscience6, le droit à l’égalité7 ou encore la dignité humaine8. Bien qu’importante, cette protection comportait une importante faille : elle ne pouvait s’imposer au législateur. Ce faisant, ce dernier pouvait donc toujours adopter des lois contraires à ces droits fondamentaux. Ce n’est qu’après la révolution jurisprudentielle de 1992-1995 que la protection des droits fondamentaux pris un véritable tournant par la Cour suprême.


En 1992, deux Lois fondamentales furent adoptées : celle relative à la Liberté professionnelle et celle relative à la Dignité humaine et la Liberté. Ainsi pour la première fois, les Lois fondamentales faisaient référence à des droits fondamentaux. C’est sur la base de ces deux Lois fondamentales que la Cour suprême poussera la protection des droits fondamentaux par l’arrêt de 1995 précité. En premier lieu, par cet arrêt, la Cour suprême pose les bases d’un contrôle de constitutionnalité des lois. Les modalités de ce contrôle de constitutionnalité seront fixées par la Cour suprême de manière assez spontanée. Le contrôle suivra le modèle du judicial review (contrôle a posteriori) mais sera un contrôle concentré (sauf si résistance des juges inférieurs). Les cas d’ouverture concernent la constitutionnalité interne (violation d’un droit contenu dans une Loi fondamentale) et la constitutionnalité externe (procédure suivie devant la Knesset) de la loi et la Cour suprême peut rendre trois types de décisions : annulation, conformité et l’invalidité relative de la loi. En second lieu, la Cour suprême a interprété très largement les Lois fondamentales de 1992. En effet, c’est par une interprétation constructive que la Cour suprême consacra la dignité humaine dans l’arrêt Miller9, le droit de fonder une famille dans l’arrêt Adalah10 ou encore, de consacrer la sécurité sociale comme composante de la dignité humaine dans l’arrêt Chalamish11. Enfin, la Cour suprême a maintenu sa Charte prétorienne pour l’articuler avec son interprétation extensive des Lois fondamentales dans les cas où il ne peut se rattacher à une Loi fondamentale. Ainsi en a-t-il été pour le droit à l’éducation12 ou pour le principe d’égalité. De même, la Loi fondamentale a pu servir de ressources interprétatives pour la Cour suprême tout en usant de sa Charte jurisprudentielle a l’appui de sa décision13.


On voit ainsi, à travers cette première partie, que la Cour suprême a comblé les lacunes laissées par le pouvoir constituant que ce soit au regard de la garantie de la Constitution qu’au regard de la garantie des droits fondamentaux. Cet activisme de la Cour suprême a donc été salutaire pour la démocratie israélienne, en ce sens qu’il a permis de poser un cadre stable dans un cadre parlementaire instable. Cet activisme est d’autant plus renforcé que la Cour suprême a dégagé des valeurs inhérentes à l’État d’Israël qui potentiellement, constituent une arme redoutable mais fragile contre le pouvoir de révision constitutionnelle.


II) L’activisme de la Cour suprême renforcé par l’affirmation fragile de valeurs inhérentes à l’État d’Israël


L’existence de valeurs ou principes inhérents à un État constitue un des rares éléments jusnaturaliste des ordres juridiques positifs. Compris comme des principes essentiels à la Constitution, ces valeurs sont censées être une limite au pouvoir de révision constitutionnelle. Si leurs affirmations revêtent une forte valeur identitaire permettant d’asseoir l’autorité d’un État, elles constituent aussi une fragilité pour les interprètes qui en font une utilisation stratégique afin de s’opposer à des révisions constitutionnelles. Dès lors, paradoxalement, si leur reconnaissance permet de légitimer le rôle des juges constitutionnels, leur utilisation est de nature à les fragiliser. Nous verrons ainsi que leur utilisation pour limiter le pouvoir de révision constitutionnelle n’est pas sans poser problème. On s’appuiera sur des exemples étrangers (A) avant de revenir sur le cas d’Israël (B).


A) Le difficile contrôle des lois de révision constitutionnelle par l’affirmation de principes inhérents à l’ordre constitutionnel : les exemples étrangers


Le contrôle des lois de révisions constitutionnelles peut poser de nombreux problèmes, tant théoriques que pratiques. Les justifications théoriques d’un tel contrôle peuvent se trouver dans le célèbre livre de Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, ainsi que dans les auteurs qui ont repris ses thèses, notamment le professeur Olivier Beaud. Carl Schmitt affirme, à raison, que « l’essence d’une Constitution n’est pas dans une norme ». En ce sens que, pour trouver l’essence de la Constitution, il est inutile de se référer au texte constitutionnel, elle doit se découvrir. Carl Schmitt distingue deux notions importantes ici : la Constitution et les lois constitutionnelles. La Constitution est, selon Carl Schmitt, le produit d’une décision par le pouvoir constituant, véritable pouvoir démiurgique. La Constitution est le produit de la volonté du pouvoir constituant qui pose l’acte constituant. La Constitution a, pour Carl Schmitt, deux caractères : une identité et une continuité. C’est en raison de ses deux caractères que la Constitution ne peut être violée ou suspendue. A l’inverse, les lois constitutionnelles sont issues d’une magistrature constitutionnelle (O. Beaud), d’un pouvoir constitué de révision constitutionnelle. L’objet de ce pouvoir est de modifier les lois constitutionnelles, autrement dit, les dispositions techniques d’une Constitution. Ce pouvoir de révision est limité, car constitué, par la Constitution et ses caractères. D’un point de vue théorique, c’est cette distinction entre l’acte constituant et l’acte de révision qui fonde le contrôle de constitutionnalité des révisions constitutionnelles. La révision constitutionnelle ne peut se faire que dans le respect de la procédure imposée par la Constitution et dans le respect du contenu de la Constitution. Si cette thèse n’a pas eu de véritable succès en France, ailleurs, elle en a eu à l’étranger. Il convient de noter que le contrôle de constitutionnalité des lois de révision se base souvent sur l’identité de la Constitution, son essence au sens de Schmitt, plus que sur le simple respect de la procédure. Ainsi, cette essence constitue le plus souvent, une des limites matérielles les plus importantes aux lois de révisions constitutionnelles. Certains auteurs ont pu assimiler cela à une « supraconstitutionnalité interne » en ce sens que la Constitution produirait des normes qui s’imposent au pouvoir de révision de la Constitution.


Dans la pratique, certaines juridictions constitutionnelles ont pu élaborer un véritable contrôle de constitutionnalité des lois de révisions constitutionnelles, comme c’est le cas en Italie et en Allemagne. En Italie, il était courant de distinguer deux notions : les lois de révisions constitutionnelles qui modifient la Constitution en vigueur, et les lois constitutionnelles qui, bien qu’au même niveau hiérarchique que les premières, ne modifient pas la Constitution en vigueur. La Corte a franchi le pas dans son arrêt n°1146/1988 où elle s’estima compétente pour contrôler les deux types de lois mentionnées. Ces dernières ne pouvaient remettre en cause « l’essence des valeurs suprêmes sur lesquels se fonde la Constitution italienne » parmi lesquelles : le droit à la protection juridictionnelle (n°232/1989) ou encore la protection des droits inaliénables de la personne humaine (n°454 de 2006). En Allemagne aussi, il existe l’article 79 alinéa 3 de la Loi fondamentale allemande de 1949 qui pose comme règle qu’une révision de la Loi fondamentale qui toucherait à l’organisation de la Fédération en Länder, au principe du concours des Länder à la législation ou aux principes énoncés aux articles 1 et 20 LF est interdite. Cependant, les principes intangibles énoncés aux articles 1 et 20 ont fait l’objet d’interprétation par la Cour constitutionnelle allemande. Dans un premier temps, la Cour s’est bornée à une interprétation matérielle stricte de l’article 79 alinéa 3 afin de déterminer, positivement et négativement, ces principes intangibles. Elle a donc fait preuve de self restraint à l’égard du pouvoir de révision. Dans un second temps, qui est actuel, la Cour interprète largement l’article 79 alinéa 3 dans le sens d’un accroissement de son contrôle. Dans l’arrêt Lisbonne du 30 juin 2009, la Cour utilise l’article 79 al. 3 pour dégager une « identité constitutionnelle fermée à l’intégration » et utilise cette même « identité constitutionnelle » pour protéger un noyau dur à l’égard du pouvoir de révision. Mais, en interprétant très largement l’article 79 al.3 pour étendre ses compétences, la Cour allemande a fragilisé sa position à l’égard des acteurs institutionnels en se faisant pouvoir constituant supplétif.


Utiliser l’argument de l’essence d’une Constitution contre un pouvoir de révision amène donc à une fragilisation de la position du juge constitutionnel. C’est ce qui pourrait arriver si la Cour suprême usait aussi de ces arguments.


B) Les « valeurs fondamentales à l’État d’Israël » comme moyen d’auto-conservation de la Cour suprême


La Cour suprême a pu, à la suite de l’arrêt United Mizrahi Bank de 1995, dégagée des valeurs fondamentales de l’État d’Israël. Dans l’arrêt Borochov14, la Cour suprême énonce que, sont des principes fondamentaux du système israélien : le principe d’égalité, la justice, la moralité, la séparation des pouvoirs, l’indépendance judiciaire ou encore, l’État de droit. La question du contrôle de constitutionnalité au regard de ces valeurs fondamentales a pu être posée. Elle se pose d’autant plus que, les Lois fondamentales de 1992 sont par nature incomplètes et indéterminées. Ce faisant, la Cour suprême a toute la latitude d’action pour étendre son contrôle à des valeurs fondamentales. Cette question est double. Elle concerne à la fois le contrôle des lois ordinaires mais aussi, le contrôle des Lois fondamentales elles-mêmes, à ces valeurs fondamentales.


Le contrôle des lois ordinaires a ces valeurs fondamentales paraît peu plausible. La Cour suprême semble écarter tout argument issu du droit naturel pour invalider une loi ordinaire. L’affaire Le’or Movement15 avait certes permis à Aaron Barak, d’affirmer un contrôle de constitutionnalité très large, jusqu’au principe fondamental du système juridique, mais, cela reste un cas isolé.


Le contrôle des Lois fondamentales elles-mêmes est plus problématique. Du point de vue de la théorie du droit, les Lois fondamentales posent des parties de la Constitution d’Israël et sont donc l’œuvre du pouvoir constituant. La Cour suprême a d’ailleurs pu qualifier la Knesset de pouvoir constituant quand cette dernière adoptait des Lois fondamentales. Ainsi, un contrôle des Lois fondamentales supposerait de distinguer deux cas. D’un côté, les Lois fondamentales qui posent une règle constitutionnelle nouvelle. De l’autre, les Lois fondamentales qui modifient une Loi fondamentale déjà posée. Le premier cas relèverait du pouvoir constituant quand le second, relèverait du pouvoir de révision de la Constitution. Mais, la science du droit ne permet pas, au regard de la neutralité dont doit faire preuve le chercheur, à choisir une justification à l’objet étudié.


La Cour suprême d’Israël ou du moins, son président, a pu poser, dans différentes décisions, les éléments qui permettraient de justifier un tel contrôle des Lois fondamentales. Ainsi, dans la décision Metrael16le juge Barak suggéra grâce à un obiter dictum qu’une loi qui porterait sévèrement atteinte aux principes les plus fondamentaux de l’État Juif et démocratique pourrait être déclarée inconstitutionnelle. De même, dans la décision de 2021 au sujet de la Loi fondamentale « État-nation », la juge Esther Hayut a pu affirmer que, « dans sa fonction constituante [la Knesset] ne peut en aucun cas révoquer l’essence d’Israël en tant que peuple juif et démocratique, par une loi fondamentale ». Pour que la Cour suprême annule la loi Fondamentale, il faudrait que cette dernière porte atteinte « à des élections libres et équitables, aux droits de l’homme fondamentaux, à la séparation des pouvoirs, à l’État de droit et à un système judiciaire indépendant ». C’est donc ici aussi une limite d’ordre essentialiste qui est imposée à toute modification de l’ordre constitutionnel. L’activisme de la Cour suprême la conduit à entrevoir un contrôle de constitutionnalité du pouvoir constituant lui-même, et non simplement du pouvoir de révision constitutionnelle. Du point de vue de la théorie du droit, il est difficile d’imaginer un tel mécanisme sauf si, comme en France, il y a une confusion entre le pouvoir constituant et le pouvoir de révision. On peut émettre l’hypothèse suivante selon laquelle, la Constitution d’Israël a été formalisée par la Cour suprême et qu’elle forme, depuis 1995, un texte unique composée de différentes Lois fondamentales. Dès lors, toute nouvelle Loi fondamentale devrait respecter la cohérence posée par les différentes Lois fondamentales formant l’unité de la Constitution d’Israël. Ainsi, la Knesset n’exprimerait pas un pouvoir constituant mais un pouvoir de révision de la Constitution, qui peut être additif mais non soustractif. Autrement dit, le pouvoir « constituant » de la Knesset ne pourrait que rajouter de nouvelles garanties aux valeurs fondamentales de l’État d’Israël et non, en retirer. Ainsi, par une utilisation stratégique de ces valeurs, la Cour suprême parvient à maintenir sa position à l’égard des autres acteurs institutionnels.


1La « Constitution formelle » renvoie à un texte écrit, unique, et suprême faisant l’objet d’une procédure de révision en principe spécifique et qui bénéficie d’une garantie juridictionnelle.

2La « Constitution matérielle » renvoie à l’ensemble des règles relatives à l’organisation des pouvoirs publics (séparation et dévolution des pouvoirs), à la forme d’État, aux droits fondamentaux, etc.

3Cour Suprême, United Mizrahi Bank, 1995

41958 : La Knesset ; 1960 : Territoire d’Israël ; 1964 : Président de l’État ; 1968 : Le Gouvernement ; 1975 : L’économie ; 1976 : Les forces militaires ; 1980 : Les lois de Jérusalem ; 1984 : Le Pouvoir Judiciaire ; 1986 : La Cour des comptes ; 1992 : Liberté professionnelle ; 1992 : Dignité humaine et liberté ; 1994 : Liberté et occupation ; 2001 : Le Gouvernement (revirement de 1968) ; 2014 : Le référendum ; 2018 : État-nation

5HCJ 14/86 Le’or v. Film and Theatre Censorship Board (1987)

6HCJ 262/62 Peretz v. Local Council of Kfar Shmaryahu 16 PD 2101 (1962)

7HCJ 104/87 Nevo v. National Labour Tribunal 44

8Katalan v. Prison Services (1979)

9Alice Miller v. Minister of Defence (1995)

10HCJ 7052/03 Adalah – The Legal Center for Arabe Minority Rights v. The Minister of Interior (2006)

11HCJ 890/99 Chalamish v. National Security Institute [2000]

12HCJ 2599/00 YATED v. Minister of Éducation [2002]

13Ganimat v. The State of Israel (1995)

14CA 677/83 Borochov v. Yefet 39

15Le’or Movement v. Chairman of the Knesset (1990)

16HCJ 4676/94 Metrael Ltd v. The Israeli Knesset

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